Le 20 juin 2017 à Bruxelles, le parti Populaire Européen (PPE) en partenariat avec le Réseau Polonais Politiques Drogues (Polish Drug Policy Network) organisait au Parlement européen une rencontre d’experts intitulée : Sûreté publique et santé publique : politiques municipales en matière de drogues dans les États Membres de l’Union Européenne.

Ce panel tout à la fois interdisciplinaire et trans-partisan a fait honneur à des représentants de la société civile, des acteurs de terrain et des responsables politiques. Tous ont pu ouvertement échanger leurs points de vue quant aux bonnes pratiques de politiques locales pouvant facilement mettre en oeuvre ou expérimenter les campagnes de prévention et programmes d’actions socio-sanitaires issus de données scientifiques probantes, alors que trop souvent les politiques nationales souffrent d’une inertie les empêchant d’adapter leurs politiques à l’état actuel de la science.

Le député européen du PPE Michał Boni présidait le débat en assurant la modération des interventions entre les conférenciers et le public, après avoir rappelé en introduction les éléments de la Déclaration de Varsovie sur les politiques urbaines en matière de drogues, un document pouvant s’appliquer au niveau des municipalités, en plus d’être un excellent outil pouvant servir à la fois d’indicateur des bonnes pratiques de politiques publiques en milieu urbain, et de point de départ pour un débat sur les standards minimums qui pourraient être étendues plus largement au paysage des stratégies municipales en matière de drogues dans les pays de l’Union Européenne.

Le panel était composé par :

  • Pr. Richard Muscat (Groupe Horizontal Drogues, Conseil de l’Union Européenne)
  • Danilo Ballotta (Observatoire Européen des Drogues et des Addictions)
  • Ute Stiegel (Bureau des Politiques des Drogues et Crime organisé, Commission Européenne)
  • Agnieszka Sieniawska (Réseau Polonais des Politiques des Drogues)
  • Marcus Keane (Forum Européen de la Société Civil sur les drogues)
  • Nanna Gotfredsen (ONG Avocats Danois dans la rue)
  • Anna Dovbakh (Réseau Eurasiatique de Réduction des Dommages et Risques)
L’histoire récente de métropoles européennes est riche de méthodes innovantes et de bons exemples, émanant par exemple de Copenhague, Francfort, Barcelone, Lisbonne, mais aussi Genève aux portes de l’UE. Une large part du succès des diverses initiatives locales qui ont amélioré la santé et la prise en charge des usagers de drogues, ainsi que leur environnement  communautaire et plus largement la population, est imputable à l’action de terrain émanant de groupes d’initiative locale, plus que de la volonté affichée par les autorités nationales.

Dès lors, il est aisé de conclure à la nécessité de respecter et d’accompagner les initiatives pouvant surgir du terrain, tout en reconnaissant l’existence d’une multiplicité de politiques locales, expérimentées ici et là, et en commençant à répertorier les standards minimum qui pourraient s’appliquer dans tous les Etats membres de l’Union Européenne, et aptes à s’enrichir progressivement de nouvelles expérimentations locales.

Cela implique un niveau de dialogue continu et amélioré entre la société civile et les institutions locales, et entre les municipalités et les pouvoirs publics nationaux, et ces tentatives de dialogue devraient recevoir plus d’intérêt et de soutien de la part des institutions européennes concernées, à l’instar de l’OEDT (Observatoire Européen des Drogues et des Addictions) ou du Comité des Régions, aux fins d’encourager, guider, superviser et évaluer les initiatives des villes.

La Déclaration de Varsovie est issue de représentants d’administrations municipales et de gouvernements nationaux, des décideurs, des membres des forces de l’ordre, de la société civile, des personnes usagères de drogues, qui œuvrent à la réduction des risques et à la fourniture de traitements, ainsi que des universitaires. Elle s’articule autour des sept principes clés contenus dans la Déclaration de Prague de 2010, faite à l’issu de la première rencontre internationale relative à l’utilisation de substances en milieu urbain et à l’échange d’expériences sur la mise en œuvre de politiques fondées sur des données probantes afin de mieux atténuer leurs méfaits. Cette déclaration visait aussi à contribuer de manière significative à Session Extraordinaire de l’Assemblée Générale des Nations Unies (UNGASS) sur les drogues tenue en avril 2016, ainsi qu’au débat sur la politique de contrôle mondiale de drogues plus généralement. 

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La consommation de drogues illicites représente en effet un problème de santé publique permanent dans un contexte urbain qui nécessite l’élaboration de politiques basées sur des preuves efficaces. Mettre l’accent sur la réduction des méfaits, le traitement de la toxicomanie et de la dépendance, le cas échéant, la prévention et la sensibilisation sur l’utilisation des drogues,  contrairement aux approches axées sur l’application des lois peut s’avérer plus efficace. Cette approche a en effet le potentiel énorme d’améliorer non seulement la vie des personnes qui consomment des drogues, mais apporte aussi une solution à ce problème de santé publique pour la société dans son ensemble. En reconnaissance du fait que les milieux urbains sont de véritable microcosme du vaste marché mondial des drogues illicites, des interventions comme celles basées sur des preuves ont besoin d’un suivi et d’une évaluation continus afin de mieux informer les prises de décisions aux niveaux municipal, régional, national et international.

Le fait de prendre les personnes qui se droguent pour des criminels a des effets dévastateurs. Par ailleurs, le refus des interventions médicales ciblées est non seulement irréfutable, mais a aussi entraîné d’innombrables conséquences négatives dont la propagation de virus transmissibles par voie sanguine et d’autres maladies infectieuses, ainsi que la restriction à certaines de l’accès aux possibilités d’emploi et à l’éducation entre autres. Les politiques de lutte contre l’utilisation des drogues qui se basent sur les droits de l’homme, les preuves et la compassion améliorent considérablement la santé publique et garantissent une sécurité aux communautés.

Pour réitérer la Déclaration de Prague, un monde sans drogue est irréalisable comme concept. L’utilisation de la drogue existe depuis des millénaires dans les sociétés et elle entend le rester, avec ses aspects négatifs et positifs. Cependant, concevoir des voies et moyens pour atténuer les effets néfastes du trafic et de l’utilisation de drogue est plutôt une approche plus réaliste et pragmatique.

Nous, signataires de la Déclaration de Varsovie, appelons ainsi aux éléments suivants:

  1. à une définition claire des rôles et des responsabilités de chaque agence municipale lors de l’élaboration et de la mise en œuvre des politiques et des programmes sur les drogues basées sur des preuves au niveau local. à des consultations régulières et formelles qui devraient s’organiser avec tous les acteurs locaux pertinents tout au long du développement de forums spécifiques et des phases de mise en œuvre. Ceci garantira en effet l’existence de partenariats effectifs entre les autorités locales, les groupes communautaires et confessionnels, les professionnels qui travaillent dans des domaines connexes, les prestataires de services, les organisations de la société civile et les communautés affectées telles que les personnes qui consomment des drogues. Un responsable local ou un organisme ayant une expérience pertinente devrait se charger de coordonner ce processus.
  2. Pour ce qui est des municipalités, elles devraient rester le fer de lance de l’expérimentation de politiques, programmes et services innovants basés sur des preuves, et qui répondent de manière pragmatique aux besoins de la population locale. Des expériences comme celles de Francfort, de Zurich, de Lisbonne et de Vancouver, entre autres, témoignent des énormes avantages que les programmes innovants – par exemple, les centres de réduction des méfaits – peuvent apporter à la santé publique et à la sécurité publique en général. L’introduction de politiques innovantes au niveau local, national et international devrait être informée par tous les acteurs pertinents, incluant et sans toutefois s’y limiter, les autorités locales et les forces de maintien de l’ordre, les prestataires de services et des services de santé, la société civile, les communautés affectées et les universitaires.
  3. La police et d’autres organes de maintien de l’ordre ne devraient pas cibler les personnes qui consomment de la drogue pour une simple possession de petites quantités de drogue destinée à un usage personnel. Ainsi, une révision des indicateurs du bon fonctionnement du maintien de l’ordre est requise afin de réduire la priorité du système de maintien de l’ordre axé sur les petits délinquants. Cela va en effet améliorer les répercussions sur la santé publique et entraînera ipso facto une amélioration de la sécurité publique. Cette révision devrait être clairement définie à travers l’élaboration de lignes directrices sur les meilleures pratiques en matière de maintien de l’ordre à l’endroit des forces de maintien de l’ordre et des mécanismes de coopération effectifs entre ces dernières et les prestataires de services sociaux et de santé. Les agents de maintien de l’ordre doivent recevoir une formation et une sensibilisation adaptées à la meilleure façon de répondre à l’usage et/ou à la dépendance à la drogue et à la toxicomanie. Ils doivent par ailleurs avoir la bonne information sur la disponibilité des programmes de prévention et d’éducation, des services de réduction des méfaits, des traitement et des services sociaux pour les personnes qui utilisent des drogues, le cas échéant.
  4. De surcroît, des mécanismes devraient être mis en place au niveau local pour protéger les droits de l’homme des personnes qui consomment de la drogue, notamment par le biais de mécanismes existants tels que le bureau de l’ombudsman. Ces droits incluent sans toutefois s’y limiter, le droit au plus haut niveau possible de santé physique et mentale, le droit à la vie privée, le droit d’être libre de toute discrimination, le droit de ne pas subir de torture, le droit à un procès équitable, Et le droit de ne pas être arbitrairement détenu.
  5. Un menu polyvalent de services sociaux et de santé – dans lequel sont inclus des programmes de réduction des méfaits – devrait être disponible pour répondre aux caractéristiques, aux besoins, aux préférences et aux circonstances des personnes qui utilisent des drogues au cas par cas. Le traitement doit être strictement effectué sur une base volontaire, et toute initiative de prévention doit être basée sur des preuves. Ces programmes devraient être conçus conformément aux principes des droits de l’homme et dans le respect des normes de qualité minimales de l’UE pour la réduction de la demande. Les autorités municipales devraient mener une lutte effective contre la stigmatisation et la discrimination auxquelles sont confrontées les personnes qui consomment de la drogue lorsqu’elles participent à des programmes sociaux et de santé. Des mécanismes devraient aussi être mis au point pour que ces personnes aient un accès ininterrompu à de différents services au fur et à mesure que leur situation change. En plus d’être accessibles, ces programmes devraient) être taillés en fonction des besoins spécifiques de chaque tranche d’âge, des femmes, des minorités ethniques, des migrants, des travailleurs du sexe et des personnes issues de la communauté LGBTQ. Lors de la transmission des informations, il est important d’éviter de stigmatiser et de faire un marketing de la peur. Par contre, le respect de la dignité des personnes et entre autres initiatives l’éducation par les pairs peuvent s’avérer des moyens utiles.
  6. Les municipalités devraient établir des réglementations et des lignes directrices pour améliorer la sécurité liée à la consommation des drogues dans les lieux de vie nocturne. Elles doivent par ailleurs encourager la coopération entre les acteurs du secteur privé, la société civile, les autorités locales, les personnes qui consomment des drogues et la police. Ces règlements et lignes directrices devraient garantir que les propriétaires de clubs et les organisateurs de fêtes locales, de festivals et autres événements sont en mesure d’offrir un ensemble de mesures complètes visant à prévenir et à réduire les méfaits et à garantir la sécurité ; par exemple, le contrôle des drogues, les interventions par les pairs, les informations sur une utilisation plus sûre et l’accès à de l’eau potable froide. Les propriétaires de clubs et les organisateurs d’événements devraient travailler à fournir des formations aux membres du personnel concernés sur la façon de travailler avec des personnes qui consomment des drogues dans ces contextes.
  7. Les gouvernements municipaux doivent s’engager à allouer un financement durable aux services et aux programmes de réduction des méfaits, aux traitements, aux initiatives de réinsertion sociale, aux programmes de prévention et de sensibilisation sur l’utilisation des drogues, ainsi qu’à la formation des fonctionnaires locaux sur les meilleures pratiques en ce qui concerne l’utilisation de la drogue. Intégré au volet susmentionné devrait être des services qui accompagnent les communautés touchées et les familles de personnes qui consomment des drogues. Par égard aux approches actuelles qui mettent un accent sur le maintien de l’ordre, ces financements devraient être répartis plus équitablement entre les services de maintien de l’ordre et les services sociaux et de santé tout en s’appuyant sur une évaluation approfondie des besoins. Ce financement devrait être alloué de manière transparente et en consultation avec la société civile.
  8. Les municipalités doivent œuvrer à sensibiliser et à éduquer les communautés locales en vue de réduire la stigmatisation et la discrimination à l’égard des personnes qui consomment des drogues afin de les informer des avantages sociétaux des programmes de réduction des méfaits et du traitement médicamenteux fondé sur des données probantes. Des forums doivent également être fournis afin de promouvoir le dialogue entre les prestataires de services, les quartiers, les forces de maintien de l’ordre et les groupes concernés afin de résoudre tout conflit potentiel.
  9. Les municipalités devraient établir des mécanismes pour le suivi et l’évaluation de toutes les politiques, de tous les services et de tous les programmes locaux en rapport avec les drogues. Cela doit se faire par un groupe de suivi indépendant composé d’experts travaillant en consultation avec la société civile, les groupes concernés et en partenariat avec le milieu universitaire. L’évaluation devrait tenir compte du contexte local et de l’impact de ces politiques sur la santé publique, les droits de l’homme et la sécurité publique, entre autres. Le suivi et évaluation devraient constituer une partie intégrante des plans budgétaires des municipalités.
  10. Des partenariats et des réseaux systématiques doivent être établis entre les municipalités au niveau régional, national et international pour faciliter les échanges d’expériences et le partage des meilleures pratiques et des politiques efficaces sur les drogues et qui s’appuient sur des données probantes.

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